samedi, 07 février 2009
L'Etude (dédiée à Georges Pérec et Françoise Sagan)
Ce port résolu, ce livre vert fermé, pressé contre soi, ce rameau d’olivier tenu si négligemment qu’on la croirait sur le point de le porter à ses lèvres pour en mâcher distraitement un petit brin : Ce billet affirme la volonté, l’intelligence et la joie d’une étudiante émancipée juste ce qu'il faut, mais encore stricte et très stylée dans un chandail élégamment torsadé, sagement boutonné, soigneusement repassé, les traits un peu sévères à cause de l’arceau vert qui rejette ses boucles de cheveux et dégage son front. Classique mais, déjà, oh déjà, si moderne : L’Étude de 1945 affiche une beauté en technicolor. Songe-t-elle à quelque film américain qu’elle irait voir, avec un amoureux ? Quelque air de swing qu’on danserait, une histoire de vacances sur la côte d’Azur ? Une histoire de soleil, simple et presque banale, racontée à toute vitesse, à toute allure, - tant et si bien qu'on la croirait couchée sur papier pour le livre de poche déjà, le supermarché, la décapotable. Sagan, cette fille de Flaubert, rappelait en ces temps-là avec l'élégance d'un Musset : "Sur ce sentiment inconnu dont l'ennui, la douceur m'obsèdent, j'hésite à apposer le nom, le beau nom grave de tristesse. C'est un sentiment si complet, si égoïste, que j'en ai presque honte alors que la tristesse m'a toujours paru honorable. Je ne la connaissais pas, elle, mais l'ennui, le regret, plus rarement le remords. Aujourd'hui, quelque chose se replie sur moi comme une soie, énervante et douce, et me sépare des autres. (...) Je répète ce nom très bas et très longtemps dans le noir. Quelque chose monte alors en moi que j'accueille par son nom, les yeux fermés : Bonjour Tristesse."
On l’imagine ensuite, Sylvie d’un quelconque Jérôme devenue rien qu’une chose en son salon, écoutant un air de jazz dans un poste radio d’après-guerre que lui aurait offert ses parents. « L’œil glisserait sur la moquette… » Fièrement élancée, lançant loin devant elle et devant sa vie le regard, fièrement assurée devant le globe qui tourne sur lui-même dans son dos, grosse boule liquide d’où émergent des continents, des hommes… Un monde dont le centre, sur la vignette, n’est la France qu’afin de lui permettre de se croire la citoyenne d’un pays calfeutré, elle-même, n'étant que pour elle-même le centre d’un monde déjà sur orbite. Quelques quinze ans plus tard, ils, comme disent les gens simples, poseraient le pied sur la lune. Sur le billet qui porte aussi le nom de Génie français, cette figure, donc, à peine allégorique et déjà très individualisée de l’Étude. Une figure qui n’a plus grand chose à voir avec la statuaire de ses ancêtres du dix-neuvième que logeaient encore les billets roses et bleus de la Belle Epoque. Ce billet, qui est l'œuvre de Sébastien Laurent, fut imprimé sur papier de ramie et frappé de très beaux filigranes. Il est le dernier à posséder une telle largeur : décidant, en 1952, d'homogénéiser sa production, le gouvernement de la Banque de France le condamnait implicitement : le retrait définitif de l'Etude s'opéra un 11 décembre 1956. Georges Pérec avait vingt ans. Françoise Sagan, à peine un de plus. Le monde allait s’emplir de plus en plus de choses. Bonjour, tristesse.
15:13 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature, pérec, sagan, l'étude, billets français, bonjour tristesse |
vendredi, 30 janvier 2009
Cinq francs : de l'or et du papier
Au dix-neuvième siècle, le billet de banque ne circule pas entre les mains du grand public, mais uniquement entre celles, plus averties, des banquiers (d'où son nom). Le billet est conçu pour des échanges de sommes importantes, afin d'éviter le transfert et l'échange de métal. Avec la guerre de Quatorze, pour acheter des obus et des armes, l'Etat Français a besoin d'or, car on ne conçoit pas, à l'international, d'être payé avec du papier. De toute façon du papier, hors frontière, personne n'en veut. L'Etat fait donc appel aux gens pour qu'ils lui remettent leur or. Effort de guerre, leur dit-on. Ils le donneront donc, leur or. Piécette par piécette. En échange, ils auront du papier. Quelques chiffres précis : A la fin de 1913, ne circulent que 50 millions de billets pour un total de 5 718 millions de francs. Du temps de Léon Bloy et d'Alfred Jarry, la monnaie d'or et d'argent assurait entre Français la plus grande partie des paiements du quotidien. A la fin de 1918, la circulation de billets représente 30 254 millions de francs, et occupe 650 millions de billets. On raconte que le jour de la mobilisation, le gouverneur de la Banque de France Pallain est descendu lui-même dans les ateliers de l'imprimerie pour y consigner le personnel. Durant quatre ans, la planche à billets a tourné jour et nuit. Et nuit et jour. Des imprimeries se sont ouvertes à Grenoble, Lyon, Saint-Etienne. Le personnel y travaille 14 heures par jour. A l'époque, le salaire horaire d'un conducteur d'atelier s'élève 0,88 F, celui des conducteurs de machines varie de 0,66 à 0,77. Les margeurs reçoivent 0,25 à 0,30 F l'heure, les heures supplémentaires sont majorées de 0,30 pour les conducteurs, de 0,10 pour les apprentis et les dames. Sur papier de Rives, on imprime une quantité de petits formats à valeurs faciales faibles (10, 20 et 5 francs). C'est ainsi que naît ce nouveau billet de 5 francs, en remplacement de celui de Léon Bloy. Toutes valeurs confondues, les livraisons atteignent de 120 000 à 150 000 billets par jour.
La victoire, tout d'abord. Le médaillon du recto représente la France, victorieuse et casquée. Elle a été dessinée par Georges Duval et gravée par Romagnol. Les premières coupures entrent en circulation en 1917. Le billet sera retiré de la circulation en 1940. D'une guerre, l'autre. En 1938, un an avant sa démonétisation, est sorti un film de Marcel Carné, très librement inspiré du roman de Mac Orlan publié en 1927, Quai des Brumes. Jean Gabin, Michèle Morgan, « t'as d'beaux yeux, tu sais... » Une légende, désormais. Je ne sais pas pourquoi, quand je regarde sur le verso du Cinq franc violet 1917 ce docker moustachu, c'est au Havre de Carné et de Gabin que je pense. A ce Havre empli de brumes, en grande partie fabriqué en studio, à ce port en carton-pâte, quoi, comme le billet lui-même. C'est un artiste nommé Walhain qui croqua ce personnage, un sac sur l'épaule, grimpant l'échelle pour accoster. Les dialogues sont de Jacques Prévert : Il y a dans Quai des Brumes une scène qui se déroule non loin du port : Nelly, le personnage joué par Michèle Morgan, glisse dans la poche de Jean, le personnage joué par Gabin, une poignée de billets. J'aime à penser que c'est une poignée de ces billets-là. C'est même fort probable. Cela correspond à la somme dont ce personnage assez pauvre peut, vraisemblablement, se séparer alors, sans se placer en un grand péril.
Les billets de banque, comme les films, ne sont que des images. Ces images n'ont plus quitté, dès lors, les portefeuilles des Français, lesquels n'ont jamais vraiment retrouvé leur or. La Banque de France venait ainsi de réaliser le kidnapping du siècle : et pour les siècles de siècles ! Le peuple, bouillie à canon venait d’acheter, piécette après piécette, ces canons. Il ne restait qu’à le divertir pour qu’au final, il ne pût se dire qu’il avait gagné la guerre pour rien : Avec ces images ressemblant à des bons points, il put donc aller voir d'autres images. Les planches à billets n'ont plus cessé de tourner depuis, même (surtout) en temps de paix. Comme des bobines de vent, d'images et de pellicules : elle est bien malheureuse, la petite Nelly aux beaux yeux, à la fin de Quai des Brumes, quand elle recueille en un baiser le dernier souffle du légionnaire, qu'une petite frappe vient d'abattre en pleine rue. On y croit. On pleure avec elle de voir qu'il est en train de mourir sur le pavé du Havre, le légionnaire au cœur d'or. C'est cela la monnaie fiduciaire : rien que du cinéma.
Pour être riche, il suffit de faire en sorte que tout le monde le croit.
00:41 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (19) | Tags : billets français, romagnon, walhain, duval, carné, quai des brumes |
dimanche, 04 janvier 2009
Le faucheur sans peur et sans reproche
1915 : La guerre et ses vicissitudes engendrent des besoins supplémentaires en petites coupures. On décide de créer en toute urgence un nouveau billet de 20 francs. Le moulage en plâtre d'une médaille de Bayard vu de profil, conservée à la Bibliothèque Nationale fournira et formera le motif de la vignette, reproduit également en filigrane. Bayard devient ainsi le premier personnage historique à remplacer sur un billet français les allégories abstraites et les dieux pour lesquels on avait opté durant le tout dix-neuvième siècle. Bayard ouvre ainsi un long et grave cortège de figures choisies, véritable album de bandes dessinées de l'histoire du pays, qui ne se refermera qu'avec l'apparition des billets européens aussi laids qu'anonymes que nous manipulons dorénavant. Pourquoi Bayard ? Sans peur et sans reproche : la devise, en pleine guerre de quatorze, a pu paraître de circonstance. On la dispose donc sur le billet, fractionnée en deux morceaux, sous chaque partie du médaillon. Gravé par Romagnol et imprimé à Lyon, sur papier du Marais, dès mars 1917, le nouveau 20 francs sera mis en circulation le 1er octobre de cette même année.
Sur le verso du Bayard, un faucheur est debout, en train d'aiguiser d’un geste leste la lame de sa faux. Sur la tête du faucheur un galurin assez large. Il est en bras de chemise, un fourreau à la ceinture, a l'air plein de santé, de fougue. A l’heure de l’angélus, on le croirait surgi d'un poème de Francis Jammes : France rurale, bonne France paysanne, sans peur, non plus, et sans reproche, qui envoie au front des troupes, en veux-tu en voilà! Est-ce l’Angélus de l’aube ou celui du soir ? On ne le sait. Tout autour de lui, dans un camaïeu fort attrayant, la moisson est abondante, bleu et clair, le jour est prometteur. Les saisons vivent encore. On pense pourtant à ces quatrains de Péguy, le fils boursier du menuisier d’Orléans qui mourut en chevalier le 5 septembre 1914, fauché d’une balle au front à Villeroy, 22 km de Notre Dame de Paris :
O peine seule épouse
Dans la maison
Peine seule jalouse
Seule en prison
Ton château sur la roche
Et ton donjon
Sans peur et sans reproche
Et ton blason.
Avec le forgeron et le savant, le faucheur demeure un personnage éminemment emblématique, qu’on retrouve sur de nombreux billets. Ce billet de vingt francs, ne comprenant que deux couleurs typographiques sur chaque face en raison de la rapidité de sa fabrication, se révélera à l’usage fort vulnérable : Huit falsifications seront recensées entre 1919 et 1927; le Bayard et son faucheur cessent donc d’être imprimés à partir de 1920, et sont retirés de la circulation en 1930. Le Bayard et son faucheur demeurent tous deux indissociés, telle une pièce de collection précautionneusement conservée dans de beaux albums en cuir, ceux qu'on montre aux invités dans la grand salle, non loin de l'âtre, en s'aidant d'une lampe tachée de quelques cacas de mouches, tandis que le vent bat la colline au-dehors :
On fauchait au soleil où les herbes bougeaient
et le chien, timide et pauvre, par devoir aboyait.
La vie existait. Un paysan disait de gros mots
à une mendiante volant des haricots.
Les morceaux de fôret étaient des pierres noires.
Il sortait des jardins l'odeur tiède des poires.
La terre était pareille aux faucheuses de foin,
la cloche de l'église toussait au loin.
Et le ciel était bleu et blanc et, dans la paille,
on entendait se taire le vol lourd des cailles.
Francis Jammes – «Le soleil fasait luire » (De l’Angélus de l’aube à l'Angélus du soir – 1897)
07:05 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : billets français, bayard, littérature, francis jammes, charles péguy |
mercredi, 31 décembre 2008
Le billet qui n'existe pas
BONNE ANNEE
2009
A TOUS
01:20 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (28) | Tags : fêtes, fête, noël, anciens francs, société, billets français |
mercredi, 10 décembre 2008
Le dernier billet de cinq francs
Le premier billet de cinq francs fut imprimé par la Banque de France à partir du 1er décembre 1871; et mis en circulation l'année suivante, afin de satisfaire les besoins du public. La vignette était bleue, les textes noirs, c'est pourquoi les collectionneurs l'appellent aujourd'hui le "cinq francs noir".
Quelque évolution qu'ait connu le cours du franc à travers les aléas tourmentés du pays durant le vingtième siècle, cette valeur faciale a traversé les deux guerres et les Trente Glorieuses : 5 francs, c'était le billet du pauvre, certes ; cela signifiait que le pauvre, aussi, avait son billet.
En nouveau franc, il existait encore, même s'il ne valait déjà plus grand chose.
Le 5 mai 1966, pour remplacer l'effigie d'Hugo, devenu quelque peu misérable devant son Panthéon écorné par plusieurs années de circulation dans la poche des Français, la Banque de France fit le choix judicieux d’un savant à la probité égale à celle de Toto : Le bon Pasteur ; d'une barbe, l'autre ; la transition s'opéra en douceur, tant en république, le poil de barbe était devenu depuis Jules Ferry, surtout blanchi, un principe académique irréfutable...
Sur une face du billet, le fameux berger Jupille, deuxième enfant sauvé de la rage, figure aux prises avec un chien aux côtés du savant, devant un paysage de fioles et d'éprouvettes à faire pâlir d'admiration un fécondé in-vitro.
Le savant a le regard de Zorro, rien de moins.
Déterminé, inflexible, bref, barbu. Le savant, surtout, a le front (siège de l’esprit) large et haut. Car le savant demeure, auprès du faucheur (paysan) et du forgeron (artisan), l'une des figures allégoriques préférées de la sérénissime Banque de France. Car à la République, il faut une tête et des bras, et au peuple des modèles à suivre.
Pasteur (27 décembre 1822 - 28 septembre 1895) n'était-il pas le totem idéal, pour symboliser la matière grise et le cœur industrieux de l'homme de la Cinquième République ? Pasteur donc, avant le couple des Curie, mais sur une coupure moindre que la leur, prit la pose.
Composée par une certaine mademoiselle Lambert, d'après un tableau d'un certain Renaud Champollion, la vignette connut ses premiers alphabets le 5 mai 1966. Tout juste un siècle après la publication des "Études sur les vins". S'agissait-il de fêter le centenaire de l'édition de l'illustre ouvrage ? On ne sait.
Mis en circulation le 3 janvier 1967, le Pasteur à cinq balles devint bien vite le billet-type des enragés de 68, celui avec lequel on se payait une séance au Quartier Latin, par exemple, avec un petit noir à la sortie. Deux paquets de goldos, pour tenir la nuit, dans la Sorbonne occupée. Pas sûr que ce fût le but recherché…
Sur l'autre versant du billet, se dévoile le parc hivernal de l'Institut-éponyme, à Paris. C'est l'hiver, déjà. L'hiver du franc, mais personne, hormis quelques banquiers et politiciens internationaux ,ne s'en doute encore. Le 5 francs si familier aux Français depuis tout juste un siècle de République, va vivre, sous les auspices de l’illustre vaccinateur des familles, ses dernières années : J’aime tout particulièrement le charme bourgeois de cette demeure aux volets fermés, ainsi que le soleil blanc de ce filigrane. J’aurais pu rêver dans ce beau parc de novembre, dans lequel j'imagine quelque étudiant solitaire, la vie de Rancé en main, errer en regrettant d'être né trop tard pour rencontrer le Tasse. Crépusculaire à souhait, ce parc, cette demeure, ce billet...
Un jour de Toussaint, le 1er novembre 1972, le Pasteur fut retiré de la circulation, ce qui lui évita de connaître le choc pétrolier et le trop dynamique Valéry à l'Elysée.
Il rejoignit Victor Hugo au musée Grévin des billets démonétisés de la Banque de France et coule une retraite paisible au paradis des collectionneurs.
La somme était si ridicule qu'on ne jugeait plus nécessaire d'imprimer, pour elle, un billet. Une pièce suffisait. J'entends dire à présent que circulent des pièces de 5 euros. Je laisse chacun songer à ce que tout cela signifie...
06:24 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (19) | Tags : pasteur, billets français, le berger jupille, le dernier billet de cinq francs, culture, histoire |
jeudi, 27 novembre 2008
Alexandre Vialatte et le bon roi Henri
Le 17 juillet de l'an 1956, Alexandre Vialatte notait dans sa chronique n° 82 de la Montagne quelques lignes dont il a le secret sur les éléphants : L'éléphant est le songe pompeux d'un dieu des Indes. Son oreille, dit l'Ecriture, est comme le manteau de Salomon. Magnifique. Mais quel rapport, me dirait un pointilleux, avec le bon roi Henri ? Aucun, en apparence. Aucun.
Sinon qu'après des tours et des détours, la plume du maître de la Gare de Lyon en vient, dans cette même chronique, à évoquer le susdit roi, à propos de la parution du nouveau Larousse:
« Les vrais grands hommes ne savent pas l'orthographe ! Imaginez-vous Henri IV, Louis XIV ou Bonaparte, ou même simplement Saint-Simon, ou Ravaillac, écrivant proprement ? discutant du pluriel des noms à trait d'union? Que de temps perdu ! Ils allaient au plus court, au bout de la phrase, à la victoire, au crime urgent. »
Deux fois, Vialatte évoque le roi Henri : Au début de la phrase, de façon explicite, et à la fin, de façon quasi-métonymique, à travers la notion de crime urgent qui fait penser à Ravaillac, dont personne aujourd'hui ne se souviendrait sans un certain coup de surin; le crime urgent qui justifie qu'on n'ait pas le temps de finir sa phrase en faisant tous les accords, le crime-urgent, terme générique pour désigner la nécessaire primauté de l'action sur le langage châtié, ah, la redoutable concision de Vialatte !
Le 23 septembre 1958, soit deux ans plus tard, alors qu'il parle « d'entrer dans le signe de la Balance », le chroniqueur auvergnat cite à nouveau le monarque béarnais, cette fois-ci aux côtés du « chaste Louis XIII, de Boucher, Watteau et de son propre boulanger (suite logique du boucher ?) un brave parisien du nom de Courcoux ».
A peine une année plus tard, (14 avril 1959) il remet ça, embrigadant le vert galant dans une autre liste, à l'occasion d'un passage traitant des raretés, et dans lequel il est question de « la barbe de Fidel Casto, le crâne de Henri IV enfant, le Jardin de Brêche Grignotte, la Topographie au Salpêtre, les Sols et Terrains de Dubuffet. »
Le 20 avril 1960, Vialatte récidive en incluant cette fois-ci le premier Bourbon parmi Jeanne d'Arc, Ravaillac, Landru, Pasteur et Brigitte Bardot, lors d'une énumération des représentants de la « France éternelle ». Le 27 août 1963, revoici Henri IV, cité comme personnage préféré des Français de l'époque, en compagnie du pape Jean XXIII, de Brigitte Bardot, saint Vincent de Paul, le bourreau de Béthune et Khrouchtchev.
A propos de la vitesse de la lumière, dans un beau délire dont il a le secret, Vialatte un peu plus tard rend subitement et fort scientifiquement le 27 avril 1965 contemporain de ... l'assassinat d'Henri IV par Ravaillac : y aurait-il chez Vialatte une fascination secrète et ambiguë pour l'un des plus célèbres trousseurs de jupons du pays ?
Voire une véritable obsession ?
Car ce n'est pas fini. C'est peut-être la chronique du 5 octobre 1965, intitulée Le vase de Soissons qui contient la formule la plus lumineuse :
« L'âme française, écrit Vialatte, a toujours été démocratique, même dans ses monarques : Henri IV préfigurait les présidents de la République. »
Voilà qui est dit.
Quelques précisions : En 1954, le projet d’un billet Louis XIV, remanié plusieurs fois, avait dû être écarté, les reproductions des peintures de Rigaud ne donnant pas satisfaction aux pontes les plus éminents de la Banque de France. Pour la vignette de 5000 francs, qui devint ensuite la première de 50 NF, on demanda à un prix de Rome, et pas n'importe lequel, le bien-nommé Le Feuvre, de songer à ce qu'il pourrait faire avec un autre roi que le trop absolu Roi-Soleil, indésirable en pays désormais démocratique : l'élu fut alors Henri IV.
Et ce dernier devint du même coup l'unique monarque à figurer sur un billet de la République.
Beau symbole : Ne préfigurait-il pas ainsi les monarques républicains que celle-ci allait bientôt s'offrir sous les traits de De Gaulle ou Mitterand ?
Le monarque républicain, le voici donc dans toute sa débonnaire splendeur. Et puisque Paris valait bien une messe, Le Feuvre le plaça devant le Pont-Neuf en construction qu'on aperçoit à l'horizon, derrière la royale fraise, avec ses boutiques et son moulin du Petit Chatelet. En ce dix-septième débutant, le ciel de Paris est encore d'un bleu limpide, le moteur à explosion n'ayant pas encore été breveté. Sûr que dans cette Seine, on plongeait à la renverse des arches du nouveau Pont, et on pêchait, tout vif, le poisson.
De l'autre côté du billet, Le Feuvre grava la silhouette draculéenne du Château de Pau, ainsi qu'une chaîne des Pyrénées qui, ne connaissant pas le Tour de France, n'avait entendu jusqu'alors d'autre son de cor que le son de celui de Roland, lequel n'avait nul besoin de dopage pour décimer du sarrasin.
On cessa d'imprimer ce fort joli billet en 1961. Et, l'année suivante, Jean Racine prit le relai dans le grave et mélancolique cortège des figures du Franc.
Démonstration avait été faite de la souveraineté symbolique du billet sur tous les régimes politiques : Le billet, c'est le vrai roi, le vrai président, le pourvoyeur de poules au pot devant l'Eternel et pour les siècles des siècles ... Le billet de banque, c'est l'autorité qui prévaut sur toutes les tables de la loi, ne nous y trompons-pas, comme l'assura en son temps un certain Honoré qui célébrait de roman en roman la toute puissante pièce de cent sous.
Un fondateur de dynastie sur le sol de Marianne, donc, pour assurer la liaison entre le vieux et le nouveau franc républicain, jeter un pont entre un régime parlementaire en pleine déconfiture et un régime présidentiel en gestation : J'ignore combien la Montagne rémunérait son chroniqueur attitré.
Tout laisse à penser cependant que grâce à sa plume empanachée, ce dernier en gagna un bon nombre au fil de ces semaines, de ces mois, de ces années-là. De quoi remplir de poules aux cuisses bien dodues et bien fermes le pot de maints dimanches que le Bon Dieu fit. Et c'est ainsi qu'Alexandre est grand.
Autres billets de la même série ( cliquez sur les noms pour suivre les liens):
Victor Hugo, Richelieu, Bonaparte et Molière.
07:29 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : alexandre vialatte, le bon roi henri iv, billets français |
dimanche, 23 novembre 2008
Flameng
Ce faucheur en chapeau rouge, assis sur un sac de jute, triste dans ses guenilles et ses sabots las, la besace en bandoulière, dirait-on pas l’incarnation du petit peuple des faucheurs fauchés ? Et ce savant à la barbe brune, au front dégarni, dans une toge à l’antique visiblement trop grande pour lui, le croirait-on pas échappé de l'Ecole d'Athènes de Raphaël ? Assis sur une lyre, cet angelot désœuvré contemplant le sol, comme dans la salle d’attente de quelque médecin… Seule danse une Fortune, les deux seins découverts, indolente, les yeux bandés, un pied en équilibre sur sa roue, en tentant d’entraîner à sa suite un homme aux chaussures délacées. Et sur la table, les travaux délaissés : A-t-on jamais osé dessiner avec autant de cruauté la cynique poésie de l’argent ? En arrière plan se devine le Pont Neuf et les tours de Notre Dame. Et sur le ciel bruineux de Paris, les majuscules alignées de la BANQUE DE FRANCE, comme sur une affiche de cinéma qui fait la part belle au grand rêve urbain, aux illusions industrielles, à la chimère du progrès économique et commercial à l'infini; à l’ailleurs empli d’opportunités, de potentiels, de chance, à l’aveugle espoir vers lequel cette putain de déesse de la Fortune cherche constamment à entraîner l’homme pauvre : devant ce mélange éhonté de misère et de luxe, il y a bien, aussi, de quoi hausser les épaules.
La coupure initiale de 1000 francs, qu'on doit au pinceau de François Flameng en 1891, ne fut jamais émise. Avec des couleurs modifiées, vingt quatre alphabets seulement en ont été tirés en 1918, pour une valeur faciale de 5000 francs. Ces billets ne circulèrent que de 1938 à 1945. Leur créateur, François Flameng (1856-1923), était mort depuis quinze ans. Le Flameng est à présent le fleuron de toute collection. Pour ma part, je ne l’ai eu qu’une fois entre les mains, chez un numismate qui ne lâchait pas des yeux le moindre de mes gestes. La côte du Flameng atteint des sommets vertigineux, surtout pour les quelques rares spécimens du marché en état presque neuf.
Nous regardons à présent le verso : Ce prolétaire vêtu de rouge, au tablier déchiré, jambes ballantes qui nous scrute sans ôter le chapeau, cette Fortune assise à ses côtés, aussi opulente que désabusée, cet amour dodu et joueur qui nous montre son cul, quelle drôle de famille ! De part et d'autres, les anges raphaëliques voltigent sur des rubans comme sur des cobras dressés : Hommes et allégories ont trouvé dans le luxe et la fortune les limites de leur ferveur, une forme d'épuisement, et leur ennui règne en ces cartouches. Lequel semble encore capable de bouger ? La beauté étrange, la supériorité indéniable de cette vignette sur toutes les autres tient entièrement au fait que la modernité qu’elle exprimait lors de son édition était prémonitoire : dans le luxe, l'énergie se décompose, dans l'abondance, le désœuvrement mortifère s'installe : comment éviter que le comble de la civilisation ne soit que le commencement irréfutable de son déclin ?
12:03 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : françois flameng, billets français |
vendredi, 21 novembre 2008
Buonaparte, Général de la Quatrième République
C’est l’un des billets auquel la Banque de France accorda le soin le plus méticuleux. Le peintre David avait peint Napoléon, si j’ose dire, à tous les âges et dans tous ses états. Parmi tous les portraits ornant la fresque napoléonienne du maître, Clément Serveau, le créateur du billet, a choisi une simple esquisse.
Le visage seul du jeune général y est achevé. On le découvre tête nue, cheveux mi-longs, plats. Quelles retrouvailles avec sa propre jeunesse, la République, quatrième du nom, espère-t-elle alors retrouver ? A quelle souffle, quelle grandeur, quel vent historique le vieux pays plongé dans les affres du parlementarisme le plus corrompu tente-t-il de ranimer sa vacillante légende ? Ou bien la Banque de France n'a-t-elle d'autre souci que de rendre hommage à son fondateur, puisque c'est le Premier Consul qui l'avait créée, en 1800 ?
Le 30 novembre 1840, une frégate du nom charmant de Belle Poule avait appareillé dans le port de Cherbourg. En provenance de Longwood (Sainte Hélène), elle rapatriait les restes de Napoléon 1er, empereur des Français, mort dix-neuf années auparavant à 52 ans sur son rocher du bout du monde. Il faudra une quinzaine de jours pour que les cendres de l'Empereur, en un char que tirent seize chevaux, entrent dans Paris : C'est l'une des Choses vues que raconte Victor Hugo dans son recueil du même nom :
"Derrière le corbillard viennent, en costumes civils, tous les survivants parmi les anciens serviteurs de l'empereur, puis tous les survivants parmi les soldats de la garde, vêtus de leurs glorieux uniformes, déjà étranges pour nous."
Tandis qu'une bonne partie de la bourgeoisie refuse de se découvrir au passage du char funéraire, le peuple, note avec une certaine jubilation Hugo, crie encore Vive l'Empereur...
C'est le commencement d'un mythe post-mortem qui ne cessera de croître avec le siècle. Le premier à en faire les frais sera évidemment le citoyen Louis-Philippe, roi bourgeois au charisme quelque peu fade comparé à celui du Petit Caporal qui fit trembler toute l’Europe et dont la littérature romantique portait désormais la légende à bout de bras. Avant de devoir présider solennellement le rapatriement des cendres, Louis-Philippe avait dû également, ironie aimable de l’Histoire, inaugurer quatre ans plus tôt l'Arc de Triomphe que Napoléon avait commandé en honneur de la Grande Armée, le 26 février 1806.
Avec son encadrement ornementé dans un style Directoire, le billet est particulièrement difficile à reproduire. A l'identique, l'effigie de Napoléon devant l'Arc de Triomphe, puis au verso devant le dôme des Invalides. En 1953, le général Blanc, alors gouverneur des Invalides, choisit lui-même les étendards disposés en faisceaux, dans le but toujours de compliquer la tache des faux-monnayeurs :
- drapeau de la 74ème demi brigade de l'armée d'Egypte,
- étendard du Général en Chef de l'armée d'Italie,
- étendard du Général en Chef de l'armée d'Egypte,
- étendard de cavalerie de l’armée d’Italie
- drapeau de la 39ème demi-brigade de l’armée d’Italie
Le billet eut l'heur de ne pas déplaire à un autre général, Charles De Gaulle, qui le reconduisit lors du passage au nouveau franc en 1960. C’est pourquoi on en trouve aujourd'hui trois valeurs faciales : Celle de 10.000 "anciens francs" (1955), la même surchargée 100 NF (1958), et celle de 100 NF (1959).
Malgré tous les efforts de la Banque de France, il ne déplut pas non plus aux faussaires : L'un d'entre eux, le célèbre Bojarski, (2) fit des imitations de ce billet le chef d'œuvre et le point d'orgue de sa romanesque carrière de copiste (7047 faux Bonaparte de cent NF répertoriés, entre novembre 1962 et mars 1975). En 1964, Napoléon abandonna à Corneille le soin de figurer sur cette valeur faciale de cent francs, devenue entre temps la plus symbolique de toutes.
1. Cahier du 15 décembre 1840
2. Lire en suivant ce lien la chronique consacré au faussaire Ceslaw Bojarski
A lire également, les chroniques consacrées aux Coupures de la même série, qui connurent trois versions (anciens francs, anciens francs surchargés, nouveaux francs :
- Le Victor Hugo : suivre ce lien. Le Richelieu : suivre ce lien.
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jeudi, 20 novembre 2008
François René, de Saint-Malo (500 francs)
Etre allé, au soir de ses jours, jusqu’à se glorifier de se retrouver sans le sou sous le régime honni de Louis Philippe et le ministère vomi de Guizot, parmi les indigents que l'Histoire avaient rendus aussi dérisoires que dignes de l’Infirmerie Marie Thérèse, à quelques pas des premières guinguettes et des populaires acacias de Montrouge, des tout derniers moulins et du tout nouveau cimetière de Montparnasse, pour finalement faire naufrage sur un billet de banque, à peine un siècle après sa mort : Est-ce à ce pire-là qu’il songe, François René, engoncé dans la vignette de son billet de 500 francs, créé en 1945 ?
Admirons François René, de Saint Malo :
« Oh ! argent que j’ai tant méprisé, et que je ne puis aimer quoi que je fasse, je suis forcé d’avouer que tu as pourtant ton mérite ! », concède-t-il dans un fameux chapitre de la quatrième partie des ses Mémoires. Quel étonnement dut donc être le sien, de se trouver aussi vilainement logé en cette cette coupure, lui, l'épris des lunes bretonnes et des chutes du Niagara. Quel étonnement ! Son visage y apparaît d'ailleurs songeur, comme la caricature que ses contemporains, déjà, aimait à surprendre en ses écrits : L’Enchanteur…Un long doigt fin, dressé après avoir pincé la corde d’une lyre jaune, le regard aux aguets, comme s’il cherchait à matérialiser la note qui résonnait sur le bout de la corde, au loin, le regard soigneusement plongé vers un hors-champ peuplé d'hirondelles ou de jeunes filles de Bohême, au delà des fracas des révolutions et de l'Histoire. Et de chaque côté du billet, ce chiffre 5 à la poursuite de deux zéros inclinés vers lui, comme s’ils résistaient à un vent d’Est frontal, ce cinq, bonhomme et ridicule au ventre enflé : l’argent, force désolante, humiliante, abominable, soutenue par les techniques et les consortiums de toutes les époques, par les forces les plus internationales du grand Capital, les espoirs manipulés du petit peuple, par l’idée insensée de l'enrichissement de tous, et le prévisible cataclysme final : songe-t-il à cela, déjà, le vieil enfant des wastes perdus?
Se réjouit-il vraiment de siéger parmi les figures du franc, François-René ? Son vieil orgueil, peut-être, rugit en en secret d'y prendre place un peu avant l’ennemi de toujours et un peu avant le cadet de toujours : Napoléon qu’il admirait, Victor Hugo qui l’admirait, n’eurent, l'un et l'autre leur billet qu’en 1955. Son vieil orgueil, peut-être, s'en trouve flatté.
Mais lui-même, d’Outre Tombe, à quoi, à qui songe-t-il ? A quoi songe l’amant de Cynthie, le récitant de Rancé, le génie des Martyrs ?
Prévoit-il la manière dont les tenants du village global, plus déments encore que ceux de la Monarchie de Juillet, auront consacré de façon absolue le pouvoir odieux, honni, de la monnaie et de sa valeur sur toute autre considération ? Sent-il poindre l'avilissement de tous les peuples ? Dans le grand renouvellement des générations, perçoit-il un frêle chant d'espoir, ou seulement le fracas d'événements qui n'auraient plus jamais de sens, et dont même le spectacle - aussi désabusé soit-il - serait devenu atroce et vain ? Décomposition, recomposition : A vous de jouer, Messieurs ! lançait aux hommes du futur le vieux mémorialiste, peu avant de quitter la piste. De bourrasques en bourrasques, ils se seront, en effet, bien amusés... Pour, au final, quel lendemain tisser ?
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